Dans une économie mondialisée, le coût du capital1 pour un investisseur n’est rien d’autre que le rendement qu’il peut attendre de la croissance moyenne des marchés boursiers – elle-même identique sur longue période à la croissance de l’économie mondiale – plus les distributions de dividendes. Jean Estin, Président du cabinet international de conseil en stratégie Estin & Co, livre son regard sur la croissance de demain.

Cette croissance diminue en termes réels depuis quarante ans et va continuer à diminuer pour les trente prochaines années. Elle est en effet la composante de deux facteurs :

  • la croissance de la population mondiale (hors Afrique2) ; celle-ci est passée de 1,7 % par an3 dans les années soixante à 0,5 % par an dans les années 2020. Elle passera à 0,3 % par an dans les années 2030. La Chine, dont la population croissait à 1,6 % par an dans les années quatre-vingt et encore à 0,6 % par an entre 2000 et 2020, a désormais une population en déclin (- 0,1 % par an dans les années 2020) ; sa démographie suit avec vingt ans de retard celle du Japon. Hors Afrique, aucun grand pays ou région ne prend le relais ; la population de l’Inde, par exemple, ne croît déjà plus qu’à 0,8 % par an ;
  • la productivité4 ; celle-ci assurait 3 % de croissance dans les années soixante5, 1,5 % dans les années 1990 et 2000 et 1 % dans les années 2020 ; elle assurera entre 0,5 et 1 % dans les années 2030. Son moteur principal n’est pas l’évolution technologique dans les pays industrialisés mais la montée en puissance des économies en développement. Entre 1980 et 2020, l’émergence de la Chine comme acteur industriel majeur sur le plan mondial a assuré le maintien voire la légère croissance de la productivité mondiale. Elle ne pourra plus avoir le même impact dans le futur. L’Inde est un relais majeur mais insuffisant pour compenser à la fois la baisse de la croissance de la Chine et le quasi-arrêt de l’Europe.
En nominal, le troisième facteur de la croissance est l’inflation ; elle était de 8 % dans les années soixante-dix6, de 3 % dans les années 1990 et 2000, de 1 % sur les années 2010. Elle va probablement remonter à 2,5 %, voire 3 %, avec une forte volatilité, compte tenu des chocs économiques à venir (transition énergétique et raréfaction des ressources, démondialisation partielle, conflits armés, vieillissement de la population). Cette remontée dissimulera le fait qu’en termes réels, le coût du capital va continuer à baisser.

 

"Dans un monde où la croissance économique moyenne ralentie (...) une entreprise qui continue à croître (...) crée de plus en plus de valeur"

Valeur des croissances longues
Dans un monde où la croissance économique moyenne diminue et où les coûts du capital réels baissent, une entreprise qui continue à croître au même rythme (en termes réels) crée de plus en plus de valeur. Ses multiples de valorisation augmentent. Le phénomène observé depuis une dizaine d’années où les grands leaders mondiaux croissant à plus de 10 % par an voient leurs multiples augmenter bien plus que les multiples boursiers moyens va se poursuivre, voire s’accentuer, hors impact de l’inflation. Et ce d’autant plus qu’ils génèrent des croissances fortes et rentables, mais surtout longues (sur plus de dix ou vingt ans…) et avec une forte visibilité. La capacité à mener des phases de croissance stratégique successives en utilisant différents leviers, modes de croissance, terrains de jeu à long terme est une compétence majeure.

"Il faudra retranscrire l’inflation dans la croissance des revenus si l’on veut maintenir les multiples"

Pouvoir de marché

L’inflation qui revient ajoute une dimension à ce phénomène, au-delà de dissimuler la baisse de croissance de l’économie et celle du coût du capital en termes réels. Les différents métiers et géographies offrent en effet des possibilités différentes de retranscrire l’inflation des coûts sur les prix aux clients (nature des clients, pouvoir d’achat, sophistication des comportements…). Et au sein de chaque métier, les grands leaders ont souvent un pouvoir de marché beaucoup plus grand que les suiveurs pour traduire en hausses de prix celles des coûts dues à l’inflation (part de marché, différenciation des produits et services, réputation et pouvoir de la marque…). Ils traduisent intégralement l’inflation dans leurs taux de croissances et dans leurs rentabilités. Pour les autres, l’inflation est souvent une source de destruction de valeur. L’inflation modifie l’attractivité respective des différents métiers et géographies les uns par rapport aux autres et diminue les marges des acteurs marginaux dans les différents métiers. Elle accentue la dynamique de concentration des industries et nécessite de faire des arbitrages dans les portefeuilles d’activités.

Création de valeur

Pour une grande entreprise en croissance longue, continuer de croître au même rythme, en termes réels, est déjà un challenge si l’ensemble de l’économie mondiale ralentit. Et en nominal (inflation comprise), ce ne sera plus suffisant, même si cette croissance reste bien supérieure à celle de l’économie. Il faudra retranscrire l’inflation dans la croissance des revenus si l’on veut maintenir les multiples et ainsi accélérer la croissance au-delà du taux de croissance réel. Les leaders y parviendront. La poursuite de la création de valeur devra provenir d’une croissance accrue des EBIT, et non seulement d’un éventuel re-rating. Croissance longue, leadership et différenciation, choix des métiers, impact de l’inflation… Rien de nouveau. Mais les bons choix auront encore plus de valeur. Avec l’inflation qui revient, les multiples baisseront. Mais pas tous.

 

Les points clés

  • La croissance mondiale et donc le coût du capital diminuent à long terme en termes réels (hors inflation) ;
  • Dans un monde où la croissance économique moyenne diminue et où les coûts du capital réels baissent, une entreprise qui continue à croître au même rythme (en termes réels) crée de plus en plus de valeur. Ses multiples de valorisation augmentent ;
  • L’inflation ajoute une dimension à ce phénomène. Il faudra retranscrire l’inflation dans la croissance des revenus si l’on veut maintenir les multiples et ainsi accélérer la croissance au-delà du taux de croissance réel.
Sur l'auteur  
Estin & Co est un cabinet international de conseil en stratégie basé à Paris, Londres, Zurich, New York et Shanghai. Le cabinet assiste les directions générales de grands groupes européens, nord-américains et asiatiques dans leurs stratégies de croissance, ainsi que les fonds de private equity dans l’analyse et la valorisation de leurs investissements. 
 
1. Monde hors Afrique subsaharienne et hors Afrique du Nord & Asie de l’Ouest au sens des définitions de la Banque mondiale et des Nations Unies. L’Afrique, selon les scénarios les plus probables, représentera 20 % de la population mondiale en 2035 et moins de 3-4 % du PIB mondial en termes nominaux. Si la région doit peser dans l’économie mondiale et sa croissance, c’est après 2035, voire 2040.
2. Chiffres d’après les estimations et projections du scénario central des Nations Unies ; du 1er janvier du début de la période au 1er janvier de la fin de la période (exemple : 1er janvier 1960 au 1er janvier 1970 pour les années 60).
3. Pour les périodes historiques, estimations de la Banque mondiale et du FMI, sauf mention contraire. Pour les projections, estimations macroéconomiques Estin & Co.
4. Estimation du projet Maddison de l’Université de Groningen (croissance du PIB par habitant en dollars constants de 2011 entre 1960 et 1970).
5. Estimation Estin & Co.

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