Dans une industrie devenue très réglementée et encouragée à poursuivre ses efforts, Redman fait figure d’exception en ayant inscrit sa bonne volonté jusque dans ses statuts. Matthias Navarro, son cofondateur et coprésident, commente les réglementations en vigueur et celles à venir et dévoile les ambitions du groupe.

Décideurs. Pourriez-vous nous présenter Redman ?

Matthias Navarro. Redman est un groupe de promotion immobilière et l’appellation "promoteur immobilier bas carbone" nous correspond bien. Nous sommes indépendants et engagés car dotés d’une mission au travers de nos statuts, celle du développement d’une ville bas carbone et inclusive. Cette démarche nous a permis de décrocher la très exigeante labellisation B Corp. Nous sommes le seul promoteur immobilier à la détenir actuellement en France. Quelques chiffres sur la structure : Redman ce sont 70 collaborateurs répartis sur six implantations aujourd’hui, cinq en France et une à Dakar. Notre chiffre d’affaires s’est établi à 40 millions d’euros l’année dernière et nous avons intégré le  classement des dix meilleurs promoteurs bas carbone en France en nous plaçant au rang sept, au milieu de mastodontes de la profession. Quelques références assez parlantes maintenant : aux côtés de nos références historiques telles que la Station F ou le siège du groupe Le Monde, nous sommes fiers de pouvoir citer le nouveau siège en structure bois du groupe Voyage Privé à Aix-en-Provence. Par ailleurs, nous venons de démarrer la construction du deuxième plus gros bâtiment bas carbone de France, un campus tertiaire à Clichy de 50 000 mètres carrés que l’on développe avec AXA IM.

Qu’implique le statut d’entreprise à mission ?

D’être dans la sincérité et l’amélioration continue. L’objectif est d’aller plus loin. La RE2020 est applicable au résidentiel depuis le 1er janvier et le sera  pour le tertiaire à partir du 1er juillet. Elle a été difficile à mettre en place du fait d’un certain nombre de levées de boucliers. Cela va dans le bon sens mais il faut aller plus loin. Les promoteurs doivent porter des ambitions bas carbone bien plus élevées. En matière de rénovation, le compte n’y est pas du tout. C’est l’un de nos axes de développement. En matière de logement, la tâche est immense et les difficultés multiples. Concernant les bureaux, le fameux décret tertiaire s’applique mais n’est absolument pas contraignant avec 7 500 euros d’amende en cas de non-respect. Une broutille pour beaucoup d’investisseurs, comparativement au coût de rénovation de certains immeubles de leur parc.

"Le statut d'entreprise à mission implique d’être dans la sincérité et l’amélioration continue"

Comment intégrez-vous ces réglementations à votre stratégie ?

Toute la stratégie de Redman est orientée vers le bas carbone, c’est notre raison d’être. Elle se construit autour de deux axes que sont la rénovation urbaine et la construction de bâtiments labellisés "BBCA" pour le neuf. C’est une contrainte que l’on s’impose et qui va bien au-delà de la RE2020. Aujourd’hui, les projets que nous développons doivent rentrer dans l’un de ces axes.

Qu’impliquent ces contraintes auto-imposées ? Moins d’investisseurs ? Moins de foncier ?

Nous rencontrons plus de difficultés à trouver des fonciers ou des immeubles du fait de ce que l’on pourrait appeler la "prime au vice". Faire moins bien coûte moins cher. Ces contraintes supplémentaires ont un coût et supposent donc une diminution de l’enveloppe consacrée au foncier. À règles égales mais avec ce surplus d’exigence, la compétition qui nous oppose à d’autres promoteurs est biaisée. Il n’y a aujourd’hui aucun avantage compétitif à être vertueux. En revanche, lorsque l’on franchit cette étape, les investisseurs accourent vers les immeubles bas carbone, du fait notamment des contraintes de verdissement de leur portefeuille. Ce verdissement consistant en une moyenne, il passe par des travaux dans l’existant et par l’intégration d’immeubles beaucoup plus vertueux. À titre d’exemple, les immeubles parisiens sont difficilement restaurables mais ce défaut peut être compensé par l’intégration en portefeuille d’immeubles neutres, voire à énergie positive.

Et le décret tertiaire ?

On est plutôt dans l’intention que dans la contrainte et l’histoire veut que sans contraintes, les choses avancent moins vite.

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Immeuble Black à Clichy (© L'autre image)

Nous ne sommes donc pas encore passés du cynisme à la bonne volonté ?

J’en suis convaincu, mais ce n’est peut-être que mon opinion. La RE2020 prend effet en 2022 dans un cadre qui va mettre plusieurs années à monter en puissance. De nombreux professionnels se sont érigés contre sa mise en place, c’est donc qu’il y a un petit sujet de timing et de négociations. Je n’ai pas peur de dire que le réflexe naturel réside encore dans le fait d’en faire le moins possible. Cela ne veut pas dire que l’on est les seuls acteurs à essayer de faire bouger les choses, mais force est de constater que la norme consiste encore trop souvent à en faire le moins possible. Sans contraintes supplémentaires, nous effectuons le minimum prévu par la réglementation.  Au vu des difficultés que l’on a rencontrées, le travail qu’a nécessité la structuration de notre ADN, l’intégration de notre raison d’être dans une entreprise de 50 personnes à l’époque, je ne minimise pas la difficulté que cela  peut représenter pour une société de 1 000 ou 10 000 personnes.

On l’appelle "RE Vingt Vingt" pour oublier le fait qu’elle aurait dû entrer en application en 2020 ?

En vue du remplacement de la RT2012, les discussions ont démarré en 2015 avec un objectif de mise en place en 2020. Les discussions ont été tellement longues, les levées de boucliers tellement fortes qu’elle n’a commencé à s’appliquer qu’en 2022.

Quelle est votre vision de l'immeuble de demain ?

L’immobilier de demain c’est déjà l’immobilier d’aujourd’hui qui doit être repris en main, rénové et recyclé s’il le faut. Il apparaît primordial de changer de logiciel et de voir la rénovation comme la norme, et la construction neuve comme l’exception. Dans le neuf, l’immobilier de demain doit répondre à deux problématiques : en matière de logements, il s’agit de combattre l’effet de ciseaux d’explosion des prix et de chute de la qualité des appartements produits.  En matière de bureaux, les usages évoluent aussi et les immeubles de bureaux vont devoir être aussi flexibles qu’un Teams ou un Zoom, tout en apportant une expérience utilisateur unique. Il va falloir que ces immeubles soient agiles, flexibles, malléables pour les managers de demain dans le but de concurrencer ces logiciels.

L’assertion "Le bureau n’est pas mort" a été répétée à l’envi ces deux dernières années, sans que personne ne se soit risqué à en promettre la disparition. Qu’est-ce que ça vous évoque ?

Avec Nicolas Ponson, nous n’avons pas du tout cette inquiétude sans quoi nous n’aurions pas lancé 50 000 mètres carrés de bureaux en blanc il y a trois mois. Nous avons donc une confiance absolue dans le fait que les bureaux ne sont pas morts. Attention tout de même à ses fondamentaux : accessibilité en transport et aux services urbains, flexibilité de l’immeuble. Certaines entreprises vont chercher à faire des économies à travers une chasse aux mètres carrés inutiles, mal ou peu utilisés, d’où la nécessité d’une certaine agilité. On peut tout à fait imaginer une forme d’occupation circulaire dans les immeubles de bureaux. Tout nous invite à penser qu’on ne va pas vers un retour au bureau individuel malgré un besoin de s’isoler. Il convient donc de trouver un mix entre bureaux individuels, espaces de réunions, inventer le travail individuel.  Cela participe de la notion de flexibilité que doit présenter l’immeuble.

"Il n’y a aujourd’hui aucun avantage compétitif à être vertueux"

La crise sanitaire a été décrite comme un "accélérateur de tendances". Est-ce que le phénomène a vraiment été anticipé ?

Nous avons retravaillé ces immeubles en conséquence. Un immeuble comme Black n’est plus concurrencé par un immeuble qui se trouve trois stations plus loin, mais plutôt par l’envie de ses utilisateurs d’aller s’installer en Bretagne ou au Pays-Basque. C’est au travers de l’expérience que l’on va offrir à l’utilisateur, au manager et aux équipes que l’on va permettre aux gens de se retrouver dans des bureaux plus efficients, plus flexibles et plus accessibles.

Quels sont vos axes de développement ?

Le développement de Redman se manifeste à travers trois axes : le renforcement de notre activité de promotion avec notamment la consolidation de notre présence régionale, la poursuite de notre développement hôtelier avec le renfort de Sarah Castagné au sein de notre équipe d’exploitation hôtelière et le lancement d’un partenariat stratégique dont je ne peux pas parler pour le moment. Enfin, nous travaillons sur la mise au point d’un outil plus long terme pour avoir un impact encore plus important en matière d’inclusion sur les territoires.

Propos recueillis par Alban Castres

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