Le bouleversement de nos habitudes de consommation et les exigences induites par la transition écologique imposent à la logistique de se réinventer profondément. Mais où en est-elle aujourd’hui de sa nécessaire mutation ?

Face à l’explosion du e-commerce que la crise sanitaire a déclenchée, les sites marchands autant que les enseignes physiques n’ont d’autre choix que de devoir rapidement s’adapter. Pour chacun, il s’agit plus que jamais de répondre à la demande de plus en plus forte et fragmentée en optimisant l’efficacité des livraisons. Donc en anticipant notamment les ruptures de stocks telles que l’on a pu en connaître ces dernières années, et en assurant aux bons moments des réassorts rapides et efficaces. Autant de grands défis qui trouveraient bien souvent leurs réponses dans la digitalisation et les innovations technologiques, si l’on en croit les différents acteurs du secteur.

Une enquête réalisée début 2023 par l’éditeur de logiciels Descartes Systems Group (sur un panel de 1 000 décideurs basés en Europe, au Canada et aux Etats-Unis) tendrait en effet à le montrer: 59 % des chefs d’entreprise interrogés affirmaient avoir intensifié le rythme de leurs innovations depuis 2021, et 65 % prévoyaient de les accélérer encore. À commencer par celles qui concernaient la préparation des commandes (pour 46 % d’entre eux), l’expérience client (44 %) et la gestion des transports (38 %). Des volontés que le déploiement de l’intelligence artificielle ne pourra qu’accroître comme semble l’indiquer le récent Baromètre annuel des DRH réalisé par la société d’assurances WTW, le conseiller en gestion des affaires ABV Group et le centre de formation continue RH&M. Si 71 % des DRH français estiment que leur entreprise est en retard face à ces enjeux, 70 % sont absolument certains que l’IA apportera un réel gain d’efficacité, et qu’elle permettra même l’installation de nouveaux services à forte valeur ajoutée (56 %).

Un secteur en transition accélérée et nécessairement écologique

Mais, on le sait, cette adaptation technologique (pour aussi déterminante qu’elle soit) ne suffit plus. D’autres enjeux entrent désormais en ligne de compte qui rendent la tâche toujours plus colossale, obligeant la filière non plus "simplement" à s’adapter mais à opérer sa très profonde mutation. La transition écologique est en effet devenue une priorité mondiale. Pour répondre aux exigences fixées par les politiques publiques autant que pour être à la hauteur de la forte attente de la clientèle sur le sujet, de nouvelles solutions respectueuses de l’environnement doivent donc être trouvées qui passent par toutes les strates, depuis le stockage d’avant commandes jusqu’à la livraison au pas de la porte du client. En clair, il s’agit désormais de décarboner massivement un secteur qui compte parmi les plus polluants. Et d’instaurer en interne une RSE qui deviendra plus encore qu’un emblème une véritable stratégie d’entreprise.

Objectif : 100% de livraisons décarbonées en 2025

Bref, impossible pour chacun des acteurs de la filière de ne pas avoir déjà entamé sa décarbonation. D’ailleurs, de nombreux grands noms ont montré le chemin. Comme le groupe La Poste qui n’a plus à prouver depuis longtemps son fort engagement en matière de lutte pour l’environnement tant sa politique RSE fait partie des plus emblématiques. C’est simple : le groupe agit à tous les niveaux possibles, depuis la collecte et la distribution de colis, l’entreposage, la gestion des stocks jusqu’à la récupération des matériels de bureaux et (depuis peu) des vêtements professionnels grâce à sa joint-venture Recygo. Et ne parlons pas de la décarbonation de l’ensemble de ses flottes entamée depuis plusieurs années déjà.

Pour atteindre son objectif de 100 % de livraisons décarbonées dans 350 villes d’Europe à l’horizon 2025, La Poste multiplie les investissements. Et sous les différentes entités de son Service Courriers-Colis (Chronopost, Colissimo, Géopost, DPD, Pick up…) les initiatives sont innombrables. Comme pour ses livraisons du dernier kilomètre, par exemple. Ainsi, le groupe a lancé fin janvier une troisième ligne de livraisons par drone, entre Villard-de-Lans et Corrençon-en-Vercors. Une première avait déjà été inaugurée dans le Var en 2016, une deuxième en 2019 en Isère, mais la nouvelle se veut un peu différente: si toutes les trois sont destinées aux livraisons à faible coût carbone dans des zones réputées difficiles d’accès, pour la première fois elle permet une mutualisation des flux des différents opérateurs.

Et, pourquoi pas, bientôt, ceux de Log’Issimo? Lancée début 2022, cette marque s’appuie sur les 120 plateformes logistiques et sur les 5500 facteurs du groupe pour assurer là aussi des livraisons de proximité ainsi que différents services sur mesure et toujours écoresponsables à destination des entreprises et des collectivités. Chaque jour, ce sont quelque 120000 prestations qui sont réalisées par ses soins. Et pas seulement des livraisons de colis. Pour répondre à l’ensemble des demandes, Log’Issimo s’articule en effet sur un large spectre construit autour de cinq piliers: Retail, Facilities, Fresh, Sur-mesure et Santé.

Quand les livraisons bas carbone deviennent la norme

Autre géant à avoir affiché une certaine exemplarité, l’allemand DHL s’est fixé dès 2017 l’objectif du zéro émission à l’horizon 2050. Pour ce faire, le leader du transport express international a annoncé l’an dernier le déploiement progressif de plus de 30000 véhicules électriques dans sa flotte mondiale et la commande de douze avions-cargos 100 % électriques. Tout en travaillant énormément, elle aussi, sur ses livraisons de proximité. En France notamment où DHL Express a investi ces derniers temps quelque 25 millions d’euros pour la création de nouvelles infrastructures à Marseille, Marne-la-Vallée, Caen et Beaune. Et tout autant pour son nouveau site de Toulouse, quatre fois plus grand que le précédent.

"Grâce à un investissement de 25 millions d’euros dans ce nouveau site, idéalement situé à proximité de l’aéroport, du centre-ville et des principaux axes routiers, nous disposons d’un outil à la pointe de la technologie pour renforcer la qualité de service offerte à nos clients, le confort de travail de nos équipes, tout en accélérant notre transition écologique.", explique Philippe Prétat, PDG de DHL Express France. Sans compter le développement massif des points de livraison DHL pour les livraisons du dernier kilomètre : à ce jour, ce sont environ 11500 Relais colis, consignes SwipBox et autres Pickme que DHL a installés partout en France. Mais l’on pourrait aussi parler de Fedex, de XPO, d’ID Logistics ou de Körber et de ses très nombreuses solutions de gestion d’entrepôts adaptées à tous les secteurs d’activité. De Geodis également et de ses 7 300 000 m² d’entrepôts dans le monde. Il y a deux ans, l’entreprise avait annoncé le déploiement de 420 véhicules biogaz ou électriques qui devaient permettre de livrer "d’ici à 2024 les centres-villes des quarante plus grandes métropoles françaises en solutions bas carbone."

De fait, elle vient d’installer une base logistique urbaine permettant de livrer le cœur de Lille. Même chose à Lyon où l’entreprise s’est associée à ULS pour offrir une double solution basée sur le fluvial en même temps que sur les deux-roues. Une solution pour laquelle elle a aussi opté à Strasbourg, et qui devrait se déployer dans bien d’autres agglomérations tant les villes se penchent aujourd’hui massivement sur leurs cours d’eau pour articuler la décarbonation de leurs transports logistiques ou/et publics. "La solution ULS de livraison fluviale par bateau et vélos à assistance électrique a pour avantage de désengorger les villes et d’avoir un impact positif sur la circulation et la pollution. Elle constitue la livraison de demain avec un service rapide et efficace", analyse Thomas Castan, président et fondateur d’ULS.

Des solutions pour faciliter la décarbonation au quotidien

Mais, hors ces géants, de nombreuses initiatives existent aussi qui mériteraient d’être soulignées. Et notamment celles générées par des éditeurs spécialisés venant faciliter l’adaptation du secteur grâce au numérique et – de plus en plus souvent – à l’intelligence artificielle. Parmi elles, l’américain C.H.Robinson propose un programme de carburants alternatifs visant à faciliter la décarbonation du transport de marchandises. Concrètement, un réseau de transporteurs fonctionnant au HVO100 (un carburant d’origine végétale compatible avec les motorisations diesel) est mis à disposition tandis que les transporteurs dont les flottes sont engagées dans la décarbonation sont mis en avant, certifications maison à la clé. La solution offerte par la plateforme française Waresito, elle, s’intéresse plutôt à l’empreinte carbone du foncier.

Le principe est simple : Waresito s’appuie sur un tissu de quelque 4 000 entrepôts logistiques partout en France qui disposent tous d’espaces vacants pour les proposer (provisoirement ou durablement) aux entreprises qui en manquent. Enfin, autre excellente idée, PTV Logistics (spécialisé dans les logiciels de planification, de calcul et d’optimisation dans le secteur du transport de marchandises) a pensé à l’été qui s’annonce. Et au poids de notre empreinte carbone qui risque de flamber si l’on n’y prend pas garde. Disponible depuis peu sur sa plateforme PTV Developer, un simulateur permet de calculer et de proposer les meilleurs itinéraires de livraison en tenant compte des restrictions de circulation mises en place en Île-de-France tout au long des Jeux olympiques et paralympiques de Paris. Parce qu’en 2024, ne l’oublions pas, livrer dans le Grand Paris au cœur de l’été s’annonce comme l’autre des immenses défis de la supply chain.

Laurent Fialaix

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