Le changement climatique met à l’épreuve le secteur de l’immobilier, en raison de ses effets répertoriés, notamment dans les études de France Assureurs « Impact du changement climatique sur l’assurance » à l’horizon 2040 puis 2050. Malgré les tentatives du législateur de prendre en compte cette problématique, le secteur de l’immobilier est déjà impacté par les effets du changement climatique, rendant nécessaire une contractualisation des risques, afin de sécuriser les opérations immobilières.

Sur les textes législatifs pris en lien avec le changement climatique

Dans le droit fil de l’Accord de Paris du 12 décembre 2015, le législateur a souhaité que les immeubles tertiaires réduisent leurs consommations énergétiques. Cela a abouti au Dispositif Éco Efficacité Tertiaire (DEET) dit « Décret tertiaire » n° 2019-771 du 23 juillet 2019, adopté en application de la loi Élan, et qui prévoit, au choix, soit une baisse graduelle de la consommation énergétique des édifices tertiaires, soit un objectif de consommation énergétique fixée en valeur absolue pour chaque type d’activité. Le droit de l’urbanisme intègre également depuis plusieurs décennies les enjeux liés à la préservation de l’environnement et plus récemment des mesures en faveur de la lutte contre le changement climatique. Cette dernière et l’adaptation à ce changement font partie des principes généraux du droit de l’urbanisme et la loi climat et résilience a ajouté au rang de ces principes l’objectif de zéro artificialisation nette qui doit être décliné au sein des documents de planification (SRADDET, SCOT, PLU).

Sur les effets du changement climatique en matière immobilière : quelques illustrations

Les effets de l’urbanisation sur le changement climatique et la biodiversité sont déjà néanmoins patents et poussent certains territoires à prendre des mesures plus radicales visant à limiter, voire à interdire toute construction sur leur sol.  La Communauté de communes du Pays de Fayence (dans le Var), compétente en matière d’eau et d’assainissement a, par délibération du 31 janvier 2023, adopté un plan d’action pour la sécurisation de l’alimentation en eau dit « Plan Marshall » visant notamment à la « maîtrise de l’urbanisme » par une « pause de l’urbanisme » dans l’attente de la sécurisation de l’alimentation en eau potable. En Haute-Savoie, par délibération du 24 avril 2023, le Conseil communautaire de la Communauté de communes Rumilly Terre de Savoie, au titre de ses compétences eau potable et Gemapi, a adopté un plan stratégique d’urgence pour la préservation de la ressource et la sécurisation de l’approvisionnement en eau potable de la Communauté de communes. L’un des axes de ce plan est de maîtriser l’urbanisme par une pause en matière de délivrance d’autorisations d’urbanisme.

La Communauté de communes précise, dans sa délibération, émettre un avis négatif aux demandes d’autorisation d’urbanisme générant une consommation en eau potable supplémentaire qui lui seront soumises sur les secteurs identifiés en fortes contraintes. Ces collectivités, sur la base d’études et d’états des lieux constatant la tension multifactorielle de la disponibilité de la ressource en eau (périodes de sécheresses estivales en 2021 et 2022, indices de sécheresse hivernale début 2023, recharge insuffisante pour le printemps et l’état 2023, ressources d’eau potable affectées par la pollution), ainsi que la pression très forte en matière immobilière liée à un rythme élevé de production de logements ont donc organisé une pause de l’urbanisation.

Un « mode d’emploi » est donné aux élus par ces collectivités et les services de l’État : motiver les refus sur le fondement des articles L.111-11 et R.111-2 et du code de l’urbanisme. L’article L.111-11 prévoit que les permis peuvent être rejetés en cas d’impossibilité pour l’autorité compétente d’indiquer dans quel délai les travaux sur les réseaux nécessaires pour la desserte du projet seront exécutés. L’article R.111-2 du code de l’urbanisme permet, lui, de justifier un refus d’autorisation d’urbanisme en cas de risque d’atteinte à la salubrité publique. En cas de recours contentieux à l’encontre d’un arrêté de refus de permis de construire pris pour ces motifs, il reviendra, in fine, au tribunal administratif, au cas par cas, d’apprécier, selon la situation du territoire et les caractéristiques du projet si le refus de construire est légalement justifié, et notamment si le risque allégué sur la ressource en eau potable est sérieux ou si l’insuffisance et le défaut d’intention d’extension du réseau d’eau potable sont caractérisés.

Le cas des maisons fissurées, victimes du phénomène de retrait gonflement des argiles

Le retrait gonflement des argiles est un phénomène massif et d’une ampleur croissante en lien direct avec le changement climatique. L’alternance entre les épisodes de forte sécheresse et de fortes pluies fait varier les sols argileux, ce qui provoque d’importantes fissures sur les bâtiments. Près de la moitié des sols en France sont concernés par ce phénomène et 10 millions de maisons individuelles sont exposées. Aujourd’hui ce type de sinistre est pris en charge par la garantie catastrophe naturelle qui est incluse dans les assurances multirisques habitation, à la double condition d’une part, qu’un arrêté de catastrophe naturelle soit adopté sur la commune concernée et d’autre part, que le retrait gonflement des argiles soit reconnu comme étant la cause déterminante du dommage. Or, seule une commune sur deux obtient la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle et seul un assuré sur deux de ces communes reconnues est indemnisé. Une ordonnance prise le 8 février 2023 des suites de la loi dite 3DS du 21 février 2022, a élargi la notion de sécheresse, en permettant aux communes subissant plusieurs années de suite des épisodes significatifs d’en bénéficier. Elle fixe également des règles spécifiques d’encadrement de l’expertise d’assurance avec un régime de contrôles et de sanctions.

Sur la sécurisation des opérations immobilières

Peut-on trouver, dans le changement climatique, une excuse à la partielle ou totale inexécution des prestations dont on est débiteur, ou à l’inverse, quand on est créancier, exclure que le changement climatique puisse être invoqué ? L’enjeu est très différent bien sûr selon que l’on est le débiteur d’une obligation de faire, d’une obligation de payer, ou encore d’une garantie. Mais, en droit, rien n’interdit aux parties de se prémunir, par le contrat, des incidences du changement climatique sur une opération immobilière. L’exercice de contractualisation supposant l’accord des parties nécessite avant tout une définition partagée du changement climatique. Selon les Nations unies, il n’y a pas un mais des changements climatiques, l’expression désignant les variations à long terme de la température et des modèles météorologiques. Il peut s’agir de variations naturelles, mais, depuis les années 1800, les activités humaines constituent la cause principale et artificielle des changements climatiques. La rédaction devra être fine, adaptée, pour déterminer ce qui serait considéré par les parties, pour une opération donnée, comme relevant ou non des changements climatiques et susceptibles de constituer un empêchement légitime de s’exécuter ou de devoir une garantie. Des clauses trop générales, incluant ou écartant les incidences des changements climatiques, seront, les praticiens le savent,inefficaces sinon abusives.

Pour les opérations immobilières, la sécurité passe avant tout par l’information. Celle due à l’acquéreur d’un bien par le vendeur est déjà très fournie (viabilité, contenance, urbanisme, travaux de moins de dix ans, sinistres, risques environnementaux et technologiques, inondation, incendie, pollution, érosion, éboulements, etc.). L’exposition à des risques naturels, éventuellement aggravés ou accélérés par un changement climatique d’origine artificielle, peut donc être encadrée par le contrat, l’information correctement donnée excluant a priori que l’on puisse rechercher la responsabilité. Les études préalables à la réitération sont également une sécurité (état des sols et sous-sols, archéologie, etc.). Et l’on sait de longue date encadrer par le contrat les incidences du résultat des études sur l’accord des parties. Restent à faire prendre compte par ces études les fameux changements climatiques. Et il ne faut pas oublier que le contrat permet d’encadrer l’utilisation des notions de force majeure, d’imprévision, voire de vice caché, la crise du Covid-19 ayant brutalement ravivé ces thèmes.

Sur la force majeure, il est possible de lister des événements que les parties s’accordent à considérer comme des événements de force majeure malgré la jurisprudence. Mais la formule utilisée doit être explicite sur le fait que la définition légale est écartée au profit de la définition contractuelle. L’exécution du contrat peut alors être temporairement ou définitivement empêchée, ces conséquences pouvant, elles aussi, être aménagées par le contrat. L’imprévision désigne la situation dans laquelle un contrat est excessivement déséquilibré par un changement de circonstances qui n’était pas prévisible lors de sa conclusion, la partie victime pouvant demander à son cocontractant de renégocier le contrat. En cas d’échec de la renégociation, les parties peuvent décider de la résolution du contrat (donc la prévoir) ou saisir le juge afin qu’il procède à sa révision ou à son anéantissement. L’aménagement de la garantie des vices cachés est plus délicat, on le sait, dès lors que le débiteur de l’obligation est un professionnel de l’immobilier. D’où l’importance, réaffirmée, de l’information donnée. Contrairement à une tendance encore trop souvent observée dans l’immobilier, professionnel ou non, les parties ont toujours grand intérêt à donner la meilleure information possible à leur cocontractant et pratiquement aucun à la dissimuler. D’où la nécessité, elle aussi réaffirmée, pour toute opération, d’un audit technique et juridique sérieux.

On ne saurait enfin négliger la possible contractualisation précise des normes techniques à la date de conclusion du contrat, et plus encore au stade des pourparlers et des avant-contrats, pour éviter qu’une évolution brutale de la réglementation, même non impérative, (on pense aux fameuses « règles de l’art ») ne vienne déséquilibrer l’accord des parties en cours de réalisation. Or, il est certain que nous ne sommes qu’aux prémisses de l’adoption de nombreux textes liés aux changements climatiques. Il est donc envisageable d’encadrer par le contrat les incidences des changements climatiques, si elles sont liées, par exemple : - en matière de fournitures, à l’augmentation des délais, la carence, l’explosion du coût ; - au titre des phénomènes météorologiques, à ceux qui dépasseraient ou attendraient une ampleur déjà mesurée, comme on le fait pour les jours d’intempéries sur un chantier ; - à des risques naturels provoqués ou aggravés par les changements, comme on le fait pour l’érosion du trait de côte ; - voire, le sujet est délicat, à l’incidence du changement sur les garanties légales des constructeurs, lorsqu’il survient dans le délai.

Sur les auteurs

Les auteurs sont associés au sein du pôle immobilier, aménagement et construction du cabinet Adaltys qui accompagne une clientèle d’institutionnels (promoteurs, constructeurs, locataires), de collectivités et d’aménageurs depuis plus de vingt ans. Jean-Marc Petit et Séverine Buffet interviennent en matière d’aménagement, d’urbanisme et d’environnement. Philippe Nugue, Adeline Mussat et Hanan Chaoui interviennent, pour leur part, respectivement dans les domaines de la promotion/construction, des risques industriels et des baux commerciaux.