Le recours croissant à la clause de bénéficiaire effectif par l’administration a conduit la jurisprudence à en préciser les contours. Désormais, au-delà de la condition de substance, l’exercice d’une activité économique effective, indépendante de l’activité de relais, et la maîtrise des revenus passifs deviennent des critères déterminants qui devront être pris en compte lors de la structuration des investissements.

Les fonds immobiliers ainsi que les sociétés foncières sont souvent amenés à interposer une ou plusieurs sociétés holding pour structurer la détention de leurs actifs. Ce type de structuration est particulièrement utilisé dans le cadre de plateformes d’investissements paneuropéens ou de création de fonds regroupant des investisseurs étrangers. Dans ce contexte, les évolutions que connaît le concept de bénéficiaire effectif sont scrutées par les acteurs du secteur.

Des pistes de réflexion pourraient être explorées afin de conférer aux holdings interposées un rôle économique effectif

En effet, sans nécessairement constater une fraude ou un abus de droit, l’administration peut recourir à la clause de bénéficiaire effectif pour refuser à une société holding le bénéfice des avantages conventionnels ou des directives européennes. Cette notion, qui trouve son origine dans le modèle OCDE de convention fiscale, s’est considérablement développée à la suite des Danish cases (CJUE, 26 février 2019, Aff. 116/16 et C-117/16) qui ont consacré le caractère autonome de ce concept.

La jurisprudence a précisé les contours de la notion de bénéficiaire effectif

Dans les affaires Danish cases, la CJUE avait défini les critères permettant de conclure à l’absence de bénéficiaire effectif, à savoir : le reversement des revenus à brève échéance par l’entité relais, la faiblesse du bénéfice taxable, l’absence de pouvoir de disposer économiquement des revenus et le défaut d’activité économique effective. Reprenant les critères dégagés par la CJUE, l’administration française recourt de manière croissante à la clause de bénéficiaire effectif. Dans l’affaire Foncière Vélizy Rose (CAA Paris, 7 décembre 2022 n° 21PA05986), l’administration avait remis en cause l’exonération de retenue à la source sur les dividendes distribués par une société foncière française à sa société mère luxembourgeoise. Pour ce faire, elle arguait du fait que cette dernière ne pouvait être considérée comme le bénéficiaire effectif de ces dividendes. La cour a donné raison à l’administration et a jugé que la société holding luxembourgeoise, qui n’avait pas d’autre activité que celle de relais et qui était donc dépourvue de moyens matériels et humains affectés à une activité effective, ne pouvait être considérée comme bénéficiaire effectif lorsqu’elle redistribuait à son actionnaire luxembourgeois, dès le lendemain, l’intégralité des dividendes qu’elle avait reçus de sa filiale française.

Dans le même sens, la cour administrative de Bordeaux a retenu que la qualification de bénéficiaire effectif ne pouvait être accordée à une entité néerlandaise qui avait l’obligation contractuelle de reverser plus de 90 % des redevances qu’elle percevait à la société propriétaire de la marque (CAA Bordeaux, 5 octobre 2021, n° 19BX00473, Meltex). Enfin, le Conseil d’État s’est prononcé au sujet d’une distribution de dividendes par une société française à une holding suisse, elle-même détenue par un associé personne physique résident portugais. Malgré le fait que la holding suisse n’avait pas procédé à une redistribution au profit de son associé, la Haute Assemblée a jugé que la société holding ne pouvait être considérée comme bénéficiaire effectif des dividendes (CE 8e ch. 11 mars 2022, n° 454980, Sté Alphatrad). Il est intéressant de noter que le commissaire du gouvernement a relevé que la holding ne jouait aucun rôle économique et qu’elle se bornait à agir pour le compte de son associé unique, seul décisionnaire des distributions de dividendes.

À l’inverse, une entité dont le rôle économique est démontré peut être reconnue comme bénéficiaire effectif. Ainsi, cette qualification a été accordée à une entité qui disposait de locaux et de personnel, qui réinvestissait les redevances reçues dans le développement de son activité et dont l’implication dans le développement de la marque a été démontrée (CAA Versailles, 8 février 2022, n° 19VE03571, SAS Meubles Ikea). L’exigence d’une activité économique effective, qui est l’un des critères de qualification du bénéficiaire effectif, ne semble pas recouper totalement la notion de substance. Ainsi, nous pourrions craindre une remise en cause par l’administration fiscale de la qualité de bénéficiaire effectif d’une société holding qui disposerait de moyens humains et matériels mais qui serait dépourvue d’activité économique effective.

Dans une configuration triangulaire, la convention conclue avec l’État de résidence du bénéficiaire effectif est applicable

La jurisprudence relative au concept de bénéficiaire effectif a connu un tournant important avec l’affaire Planet dans laquelle le Conseil d’État a consacré le principe de l’applicabilité de la convention conclue entre la France et l’État de résidence du bénéficiaire effectif, alors même que le flux transite par des intermédiaires (CE 20 mai 2022, n° 444451, Planet). Les enseignements à tirer de cette jurisprudence sont multiples. S’agissant des structures existantes, il pourra être opportun de réaliser un état des lieux afin d’identifier d’éventuelles faiblesses causées par des holdings intermédiaires dont la qualité de bénéficiaire effectif pourrait être remise en cause par l’administration au regard des critères jurisprudentiels précités. Dans cette configuration, sur le fondement de la jurisprudence Planet, le bénéficiaire effectif pourra être recherché à un échelon supérieur, ce qui lui permettra le cas échéant de se prévaloir des avantages conventionnels ou des directives européennes.

Quant aux structurations des futurs investissements, il nous semble qu’elles devront inclure dès l’origine une démarche d’identification des bénéficiaires effectifs afin de sécuriser le bénéfice des avantages conventionnels ou des directives européennes sur les flux transitant par des sociétés holding interposées dépourvues d’activité économique effective. En conclusion, à la lumière des jurisprudences récentes, les structures d’investissements immobiliers recourant à l’interposition de holdings dont l’activité est limitée à la perception et à la redistribution de dividendes se trouvent fragilisées. Des pistes de réflexion pourraient être explorées afin de conférer à ces holdings un rôle économique effectif, condition sine qua non pour qu’elles puissent être considérées comme des bénéficiaires effectifs. Il pourrait par exemple être envisagé de transférer à ces holdings certaines attributions qui étaient jusqu’ici, soit externalisées, soit dévolues à d’autres entités du groupe.

Sur les auteurs

Michaël Taïeb est associé au sein de l’équipe fiscale du cabinet IC Avocats. Il conseille de manière régulière des sociétés foncières, des promoteurs et des fonds immobiliers sur les aspects transversaux de leurs activités. Avant de rejoindre le cabinet IC Avocats, Christelle Félicité a exercé pendant une vingtaine d’années au sein de directions fiscales de grands groupes internationaux et en cabinet d’audit.