Les aléas de la vie économique et le temps considérable qui s’écoule entre la conception d’un projet commercial et son ouverture effective contraignent à intégrer des modifications voulues ou forcées de nature à altérer les termes des autorisations. L’application de l’article L752 21 du Code de commerce a conduit à des jurisprudences nuancées qui doivent être mises en parallèle avec le régime de l’évolution d’un établissement commercial après son ouverture.

Entre l’établissement d’un dossier de CDAC, en amont d’un projet, et l’ouverture effective au public, il se passe souvent des mois, voire des années. Les contraintes du projet évoluent, la commercialisation également, ne serait-ce que parce que les enseignes pressenties à l’origine n’ont pas attendu plusieurs années l’ouverture. Il est donc souvent nécessaire de faire évoluer un projet entre l’avis de la CDAC et l’ouverture effective au public.

La rédaction de l’article L.752-15 a évolué avec le temps

Sous l’empire de la loi Raffarin, un nouveau passage en Commission d’équipement commercial était nécessaire en cas d’évolution substantielle dans la nature du commerce, dans les surfaces de vente ou dans la modification d’une ou plusieurs des enseignes désignées par le pétitionnaire. Selon la circulaire du 16 janvier 1997, par modification substantielle, il fallait entendre l’évolution touchant l’économie du projet initial et susceptible d’avoir eu les incidences sur le sens de la décision de la Commission. La jurisprudence a toujours été d’une approche difficile pour appréhender ce qui était substantiel et ce qui ne l’était pas. Il a pu être admis que pour un projet portant sur la création d’un hypermarché de 5 030 mètres carrés et d’une galerie de 660 mètres carrés, la réalisation d’un hypermarché de 5 080 mètres carrés et d’une galerie de 621 mètres carrés constituait une évolution négligeable (TA Dijon,30 mai 2000). Pour un centre commercial de 5 900 mètres carrés comprenant un hypermarché de 3 400 mètres carrés, une moyenne surface de 500 mètres carrés et une galerie marchande de 2 000 mètres carrés, un permis modificatif pour une surface de vente globale identique qui a augmenté de 85 % la moyenne surface en la portant à 825 mètres carrés et a diminué à due concurrence la surface de boutique constituait une modification substantielle (CE, 13 mars 1996, req. 127 544).

''Il est donc souvent nécessaire de faire évoluer un projet entre l’avis de la CDAC et l’ouverture effective au public''

La création d’une boutique de 200 mètres carrés à l’échelle d’un ensemble commercial de 7 600 mètres carrés n’est pas une modification substantielle (CE, Avis du 28 octobre 1975). De même, lorsque les hôtels étaient soumis à CDEC, il a été jugé que l’augmentation du nombre de chambres de 10 à 45 ne revêtait pas un caractère substantiel (CAA Marseille, 30 avril 2008, req. 06MA00837). En revanche, l’ouverture d’un magasin de 4 010 mètres carrés regroupant dans les mêmes locaux un hypermarché, un commerce de bricolage alors que l’autorisation avait été obtenue pour créer un hypermarché de 3 300 mètres carrés et une moyenne surface de bricolage de 518 mètres carrés et des commerces indépendants sur 600 mètres carrés grevait un caractère substantiel (CE, 1er mars 1989, req. 84 403). Dans cette espèce, sans doute plus que l’augmentation de surface de 192 mètres carrés, c’est l’intégration d’une moyenne surface de secteur 2 dans l’hypermarché qui a été considérée comme substantielle. Par la suite, la référence à l’enseigne a disparu et dans le dernier état, avec la rédaction du 25 novembre 2018, est soumise à autorisation toute modification substantielle au regard des critères énoncés à l’article L.752-6 du Code de commerce, le texte étant à la fois désormais plus large et moins précis.

En 2012, la Commission nationale d’aménagement commercial autorise à Nice un ensemble commercial de 22 700 mètres carrés composé de 39 cellules, de deux moyennes surfaces d’équipement de la maison de 2 000 et 830 mètres carrés, d’une moyenne surface d’équipement de la maison ou culture/loisirs de 3 300 mètres carrés. Avait finalement été ouvert au public un magasin Conforama de 5 755 mètres carrés au sein d’un ensemble commercial qui ne représentait plus que 15 300 mètres carrés. Une association avait demandé sans succès au préfet de poursuivre ce qu’elle considérait comme une exploitation irrégulière ; le tribunal administratif de Nice avait validé l’abstention du préfet. En revanche, la cour administrative d’appel de Marseille avait considéré l’exploitation irrégulière dès lors qu’elle excédait 2 000 mètres carrés. Dans un arrêt du 20 décembre 2022, req. 450 488, le Conseil d’État censure au visa de l’article L.752-15 en vigueur à la date des faits qui faisait référence à une modification substantielle, dans un des critères énoncés à l’article L.752-6 ou dans la nature des surfaces de vente. La haute juridiction considère que l’autorisation de 2012 concerne non seulement la création de deux moyennes surfaces d’équipement de la maison de 2 000 mètres carrés et 830 mètres carrés mais aussi une moyenne surface d’équipement de la maison, culture/loisirs de 3 300 mètres carrés, elle sous-entend donc qu’une réunion de ces différentes surfaces pourrait être envisagée.

La cour administrative d’appel de Marseille dans un arrêt du 26 juin 2023, req. 22MA03122 s’incline et relève qu’au final, l’autorisation de 2012 aurait permis l’ouverture de 6 130 mètres carrés de surface de vente dédiés à l’équipement de la maison, ce qui correspond à une surface supérieure à celle occupée par Conforama. Contrairement à ce que soutient l’association requérante, le simple regroupement de plusieurs cellules de l’ensemble commercial dédiées au même secteur d’activité en un magasin unique n’emporte pas de changement dans la nature des surfaces de vente autorisées et ne saurait, dès lors, constituer une modification substantielle au sens de l’article L.752-45 du Code de commerce. Par ailleurs, la requérante qui se borne à soutenir que l’équilibre de l’autorisation initialement accordée aurait été remis en cause par la surface commerciale dont dispose Castorama n’établit ni même n’allègue que le projet aurait subi des modifications substantielles au regard de l’un des critères énoncés à l’article L.752-6 du Code de commerce.

L’application de cette solution va conduire à s’interroger sur ce qui a pu ou non revêtir un caractère substantiel dans l’avis des Commissions d’aménagement commercial. On peut penser que l’analyse devra porter sur les considérants des différents avis, mais également au terme du procès-verbal ainsi que des rapports d’instruction. À la lecture de l’arrêt, on constate que la charge de la preuve incombe au requérant à qui il appartient de démontrer le caractère substantiel de l’évolution du projet et que ce n’est donc pas au pétitionnaire à l’origine de la modification de démontrer que ce qu’il envisage n’a pas un caractère substantiel. Si cette souplesse importante permet une adaptation des projets en cours d’élaboration, elle crée en revanche, une incohérence significative entre les réunions de surface avant ouverture de l’ensemble commercial au public ou après. Dans le premier cas, et sauf remise en cause de l’appréciation qui a été faite des critères de l’article L.752-6 qu’il appartient au requérant de démontrer, toute réunion de surface de vente est possible. En revanche, si l’ensemble commercial existe, une réunion de surfaces préexistantes qui aboutirait à créer une unité de plus de 2 500 mètres carrés est impérativement soumise à une autorisation préalable par l’article L.752-2 du Code de commerce. La différence de traitement apparaît peu explicable.

Sur les auteurs 

Jean Courrech est le fondateur du cabinet Courrech & Associés. Bertrand Courrech est son associé. Le cabinet Courrech & Associés est une structure spécialisée en droit de l’urbanisme et droit de l’urbanisme commercial. Au travers de ses implantations sur Paris et Toulouse elle intervient au niveau national aux côtés d’enseignes de distribution, de promoteurs et de collectivités pour les accompagner dans leurs opérations d’aménagement et de construction.