La crise sanitaire continue de rebattre les cartes de l’immobilier d’entreprise, au rythme des restrictions qui l’accompagnent, des perspectives qu’elle inspire. Caroline Fortier, directrice générale de Sogeprom, évoque ces bouleversements et détaille ses convictions immobilières et humaines.

Décideurs. Quels enseignements tirez-vous de ces derniers mois ?  

C. Fortier. Sur le plan de la valorisation du territoire français, les pôles de compétitivité des domaines stratégiques ont été particulièrement mis en valeur sur tout l’Hexagone avec notamment le plan de relance européen et France Relance, et sur différents secteurs de la biotech à la santé en passant par l’agroalimentaire. Les régions et les villes moyennes ont bénéficié de cette mise en valeur dès lors qu’elles présentent les atouts indispensables que sont l’accessibilité, la connectique, l’éducation, la santé, la culture et le patrimoine. La place de Paris reste très attractive pour les entreprises qui affectionnent la qualité de vie proposée, l’accessibilité et l’immobilier. Sur le plan de la vie en communauté, nous observons une nouvelle approche de la ville, fonctionnelle mais aussi naturelle, esthétique et à taille humaine, qui met en exergue le besoin de liens sociaux. Aristote le disait déjà : "L’homme est un être sociable, la nature l’a fait pour vivre avec ses semblables." En dernier lieu, une question nous occupe : comment s’adapter à cette nouvelle donne de risque sanitaire durable tout en restant proche des zones d’activité et d’emploi ? La réponse réside dans le fait de rendre sûr, sain, attractif, fonctionnel, esthétique, agréable et abordable tout lieu de vie en communauté : la ville, le bureau, le logement. Sur le plan humain enfin, nous avons assisté à un retour au bon sens paysan fait d’adaptation, de résilience et qui met la santé au cœur des préoccupations de tous. Le lien social, au bout du compte, est devenu  essentiel. Pendant longtemps nous avons pensé que l’homme était fait pour passer commande sur son canapé. La crise sanitaire s’est occupée de balayer ce "fantasme".

Pourtant le métavers de Marc Zuckerberg semble diriger la société vers l’abstrait à travers ce diptyque canapé/téléphone...

L’intelligence artificielle revêt de l’intérêt lorsqu’elle agit au bénéfice de son utilisateur, de la planète ou du business. Quand elle le fait à son détriment, c’est consternant. J’ai dévoré Le Meilleur des mondes d’Aldous Huxley, parce que ça semblait loin. Il convient de mettre en complémentarité l’intelligence émotionnelle et artificielle. Cette cinquième vague nous fait revenir à certains fondamentaux à travers une question : qu’est ce qui compte pour moi ? Ma santé ? Mes proches ? Mes collègues ? Mon travail ? Cette période va peut-être nous permettre de nous extirper du conceptuel pour s’attacher à l’essentiel.

Le bien-être est devenu un déterminant plus important que la réussite professionnelle. Comment vous emparez-vous du sujet en tant que directeur général ?  

J’ai pris beaucoup de plaisir à revenir aux fondamentaux du management tel que je l’aime : suis-je juste, suis-je un manager moderne ? Les heures de travail importent peu, ce qui compte c’est la mission. Nous cherchons à transmettre à nos collaborateurs l’envie de venir au bureau et continuons de veiller à la bonne santé de tous y compris pour ce qui concerne les risques psychosociaux liés au cadre de vie, au télétravail, au manque de liens sociaux ou au management à distance. Il s’agit donc avant tout de rendre les bureaux désirables car ils sont totalement indispensables pour notre performance collective et pour la qualité de travail de nos salariés.  Une telle volonté nécessite une certaine souplesse pour permettre à chacun d’adapter son temps de présence au bureau à son temps de transport, son équilibre vie professionnelle/personnelle ou sa capacité à travailler efficacement à distance. Ma conviction consiste en l’hybridation généralisée des modes de travail, aussi bien en matière de lieux de travail (siège social, tiers lieux, logement lui-même s’il le permet), qu’au sein même des espaces de bureaux rendant possibles autant le travail de concentration, que le travail en équipe, les célébrations, la restauration ou encore la pratique sportive. Je suis également très attentive à notre rôle social d’employeur. À ce titre, nous tenons à assurer une formation par an et par personne, et un minimum de 10 % de salariés en premier emploi ou en contrat de qualification, deux composantes marquantes de nos indicateurs RSE.

"Cette période va peut-être nous permettre de nous extirper du conceptuel pour s’attacher à l’essentiel"

Et en tant que promoteur ?  

En matière de concepts, cette hybridation des modes de travail a fait s’inviter durablement le bureau dans le logement (les confinements nous y ont obligés et les nouveaux mode/rythmes de vie nous y autorisent), les livraisons à domicile et les services de proximité rendus essentiels durant le confinement font repenser les parties communes des immeubles : tiers lieux, espaces colis, commerces, mobilité… Plus généralement les concepts s’inspirent les uns des autres : les hôtels ont repris les codes des commerces et du confort des logements, y compris dans les pièces collectives. Le bureau s’inspire désormais également du logement, de l’hôtel et du commerce pour améliorer le confort et l’expérience collaborateurs. Le siège social, véritable reflet de la marque employeur et symbole d’équité sociale, se transforme en hub social et fonctionnel au service de l’esprit de groupe, la collaboration, la convivialité, certains rendez-vous clients. Les sièges sociaux doivent offrir confort et cadre de vie agréable (présence de la nature notamment), services (conciergerie, épicerie, salle de sport...) et équipements adaptés au mode projet notamment (modularité des espaces, informatique performante et sécure…). Les bureaux monofonctionnels utilisés seulement quelques instants dans la journée sont remplacés par des lieux partageables pour certains, modulables, hybrides, y compris des espaces de restauration pouvant devenir des lieux dédiés à l’événementiel potentiellement accessibles à la location pour des réceptions. Il nous appartient de penser ces fonctionnalités et modularités dès la conception des projets en privilégiant si possible les structures à grande portée ou de type poteaux poutres, tout comme les cloisons amovibles. Il nous appartient à nous tous acteurs de l’immobilier de tendre vers la déspécialisation des concepts produits avec, si possible, davantage de permis de construire multi-produits au bénéfice des territoires comme des investisseurs. En cela résidera réellement la ville durable autour de la souplesse et de la rentabilité sur le long terme.

La santé est-elle l’enjeu de l’immobilier de demain ?

Elle est indissociable du bien-être, nos lieux de vie doivent  être pensés et conçus au bénéfice de ses utilisateurs, de leurs territoires d’implantation et de la planète, de façon holistique au service du vivant : non seulement comme lieux serviciels et fonctionnels en faveur de l’expérience client (commerces, hôtels) du confort familial (habitat) de la qualité de vie au travail (bureaux), mais aussi comme lieu de régénération du vivant humain et végétal à travers la culture ou l’enrichissement social. Nos programmes intègrent désormais des préconisations en faveur de la qualité de l’air intérieur, de l’exposition à la lumière naturelle, du confort thermique et acoustique, de l’incitation à l’effort physique, du lien social et des espaces naturels. Au-delà des concepts, au milieu de tout ça, l’invariant reste la sécurité sanitaire, notamment la qualité de l’air.

Concernant l’écologie, est-on passé de la volonté aux actes notamment en matière de construction ?  

Le greenwashing recule au profit des actes. La ville de demain (au cœur de notre métier) est impérativement RSE dans toutes ses dimensions et nous oblige à placer prioritairement le vivant au cœur de nos réflexions et de nos actions. Imprégné de l’humain et de la nature, l’immobilier doit être esthétique, adaptable, économe en ressources naturelles et abordable. Toujours plus ancré, plus frugal, plus vert. Aussi, j’ai souhaité une démarche holistique. Ainsi, la démarche RSE de Sogeprom est globale et fait écho aux engagements du groupe Société Générale. Un bâtiment Sogeprom n’est pas un simple projet de promotion immobilière, il est une vitrine pérenne de nos valeurs et de celles de ses occupants. À chaque étape, depuis leur conception jusqu’̀à leur usage, nos bâtiments ambitionnent de se démarquer par leur utilité et leur performance pour leurs utilisateurs.et faire la fierté de nos collaborateurs, partenaires et actionnaire. Dès mon arrivée en 2018, j’ai inscrit la RSE au cœur du plan stratégique UP, pour Utiles et Performants,), car je suis convaincue par le triptyque vertueux : Responsable, Reconnu, Rentable. De ce fait, , des actions structurantes ont rapidement été mises en place telles que la mesure de notre empreinte carbone (Entreprise et Projets) en collaboration avec le cabinet Carbone 4 et la création de la Communauté Bas carbone travaillant sur la réduction de l'empreinte des projets ainsi que celle des collaborateurs. Partant de ces résultats, fin 2019 nous avons structuré davantage notre  démarche RSE et mis en place une stratégie, des objectifs et engagements reposant sur trois piliers : être un Promoteur immobilier responsable, dans l’acte de concevoir et de construire, aussi bien sur l'aspect technique que dans la qualité d'usages, au bénéfice de nos clients et de la planète. Être une Entreprise responsable envers notre écosystème au bénéfice de nos partenaires et des territoires. Être un Employeur responsable au bénéfice de nos collaborateurs et actionnaire (Société Générale) ainsi qu’une gouvernance spécifique pour piloter ce sujet qui engage l’ensemble du groupe Sogeprom.

"Au-delà des concepts, l’invariant reste la sécurité sanitaire"

Comment votre engagement se traduit-il en pratique ?

Sogeprom s’engage à construire de manière responsable et à réduire son empreinte carbone, à la fois en garantissant l’éco-construction sur ses programmes, en favorisant le bien-être des usagers et une empreinte carbone moindre dans les usages du bâti en exploitation. Ses engagements sont rendus possibles par l’ancrage régional historique de Sogeprom avec l’engagement sans faille de nos directeurs régionaux pour la pertinence des projets en faveur de leur intégration territoriale en accompagnement des ambitions des élus locaux en faveur de la valorisation urbaine. À cet égard, Sogeprom porte son attention plus particulièrement sur cinq indicateurs clés, ambitieux et réalistes : l’empreinte carbone, l’économie circulaire et l’innovation dans les matériaux, la gestion frugale de l'eau, la biodiversité et le plus haut niveau des certifications et labels.

Quelle est votre vision de la ville de demain et comment entendez-vous la concrétiser ?  

L’acceptabilité de l’acte de construire ou de moderniser la ville sur la ville ne pourra se faire que par plus de partenariats public et privé. : Nous pouvons en effet agir ensemble sur tous les leviers vertueux aux bénéfices augmentés :  des prix de fonciers maîtrisés,  des aménagements urbains, bureaux, services, commerces logements et équipements publics adaptés aux réels besoins du territoire. Un véritable partenariat public/privé/privé entre élus qui maîtrisent la valorisation de leurs territoires, promoteurs et investisseurs qui proposent le meilleur programme en conséquence (besoin territoriaux/marchés), écosystème économique et associatif qui contribuent à cette programmation selon les valeurs intrinsèque du territoire (acteurs économiques, matériaux locaux, artisans, commerçants…) :  il s’agit de co-création de valeur territoriale.

Quelles sont vos perspectives de développement à court, moyen et long terme ?  

Nous poursuivons nos activités de restructuration d’actifs, de promotion de logements abordables, de projets mixtes à forte création de valeur urbaine au bénéfice de nos clients et des territoires. En chiffres, à court terme nous devons conserver notre position parmi les quatorze meilleurs promoteurs et nous hisser dans les dix meilleurs à moyen terme.

Propos recueillis par Alban Castres